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J’avais découvert les oeuvres de Cheyco Leidmann dans les années 1980 lors d’un séjour professionnel en Allemagne et j’avais immédiatement été impressionné par son travail qui avait une forte puissance sensuelle. Ce grand photographe qui a marqué l’univers de la photo par ses couleurs, son audace et ses provocations est aujourd’hui très convoité par le marché des arts.
« Mon art est une thérapie du voir, les gens ne voient plus rien… ». C’est par ces mots que Cheyco Leidmann définit le mieux son art.
Pour lui la technique est secondaire. La qualité photographique c’est d’abord l’impression qu’il cherche, cette mini-seconde qui permet de lever le voile.
Cheyco Leidmann n’hésite pas aujourd’hui à présenter des êtres marginaux qui sont le plus souvent des drogués, chômeurs, clochards, criminels, prostitués, transsexuels…
En fait le langage qu’utilise ce créateur d’images est commun à tous les artistes des forces sombres et obscures comme Van Gogh ou un certain Antonin Artaud. Adeptes des sonorités fortes, ils utilisent volontiers leur art comme la foudre ou le coup de tonnerre.
L’intonation devient chez eux une détonation, geste proprement révélateur qui s’en prend au voile, le voile déchiré, la vérité enfin dévoilée!
En adéquation avec beaucoup de philosophes et écrivains de notre temps l’artiste opère le même constat comme l’écrit notamment Marcel Gauchet de cet arraisonnement des choses par l’arraisonnement des êtres. Cette logique implacable qui conduit à la transformation des choses par la transformation des hommes en choses.
Cela rejoint étonnamment le concept déjà utilisé par Cheyco Leidmann lui-même lorsqu’il parle de « toxyttism » pour qualifier la dégénérescence de l’espèce humaine tant morale que physique.
Et comme Van Gogh, Cheyco ne fait pas de compromis, le rejet de cette logique esclavagiste de l’homme est sans appel. Il n’y a donc de sa part aucune complaisance avec les images qu’il expose. Il dénonce au lieu d’approuver et « révèle l’importance de l’abîme ».
Hypersensible, il voit l’art comme émotion. Il trouve toujours derrière la brutalité de ses images et même de la mort et de la misère, une forme de beauté. En fait il casse en permanence les tabous et les canons de l’esthétique.
C’est pourquoi le monde que nous montre Cheyco semble implacable, irrespirable, toxique. L’enfer sur terre avec ces femmes irréelles, l’une à l’abondante poitrine siliconée, l’autre tirant une langue baveuse et la plupart déformées voire mutilées.
L’artiste est conscient qu’il choque souvent son public mais paradoxalement il considère qu’il atteint son objectif, dit-il, « quand mon travail réussit à capter l’attention, j’ai le sentiment d’avoir accompli ma mission. »
Il utilise la force et la violence visuelle de son travail pour montrer l’absurdité de notre époque.
Ce faisant il suit la voie tracée par Van Gogh qui a dépassé la peinture, pour nous faire passer de l’autre côté, au-delà de la peinture qui ne saurait que peindre. De même Cheyco lui aussi nous permet de sortir de la simple représentation photographique qui ne conduirait qu’à créer des images.
C’est pour nous échapper de cette réalité continue et créer une réalité nouvelle qu’il faut que l’image déclenche l’explosion intérieure.
Sa vision est celle du trip apocalyptique comme il aime le définir lui-même à savoir que l’Apocalypse est essentiellement révélation, une révélation de l’indicible, d’une spiritualité différente de la religion, du « new age » et des courants mystiques traditionnels.
Mais en dévoilant également la part d’invisible qui se cache dans ses images, Cheyco nous permet aussi de crever la peau des choses pour montrer comment les choses se font choses et le monde monde.
Source: Christian Schmitt, Metz, 2012.
Voir ICI certaines de ses photos de l’époque qui m’avaient fait aimer son travail